ERVDITIO ANTIQVA
Revue électronique de l'érudition gréco-latine


Volume 1 (2009)
Résumés des articles

  • Jean-Yves Guillaumin : L’érudition des gromatiques romains

L’extrême spécialisation des textes des arpenteurs romains n’empêche pas l’irruption, dans ce corpus, d’une érudition souvent de bon aloi. À côté de l’étalage un peu cuistre de connaissances encyclopédiques dans les traités du Bas Empire, on peut mettre en évidence, dès les écrits du Haut Empire, un certain nombre de références et de développements de nature philosophique, géographique et astronomique, et même mathématique ; mais peut-être le trait plus notable est-il le recours à des étymologies d’origine varronienne qui ne sont pas gratuites, car leur rôle est de participer à l’expression de cette idéologie de la victoire romaine qui sous-tend largement les quatre grands traités « gromatiques » qui sont parvenus jusqu’à nous.

L’estrema specializzazione dei testi degli agrimensori romani non impedisce l’irruzione in questo corpus d’una erudizione spesso di buona qualità. Insieme allo sfoggio un po’ pedante delle conoscenze enciclopediche dei trattati del basso Impero, si possono evidenziare, fin dagli scritti dell’Alto Impero, un certo numero di riferimenti e di argomentazioni di natura filosofica, geografica, astronomica ed anche matematica. Ma forse l’aspetto più notevole è il ricorso ad etimologie di origine varroniana che non sono gratuite, poiché la loro funzione è di partecipare a quella ideologia della vittoria romana che sottende largamente i quattro grandi trattati gromatici che sono giunti sino a noi.

  • Pascal Luccioni : Aspasie, une gynécologue d’époque impériale ?

La compilation médicale d’Aetius d’Amida (VIe siècle) nous transmet des extraits d’une « Aspasie », qui aurait rédigé des travaux de gynécologie. On s’efforce ici d’abord de caractériser le style de l’auteur, voire de le (la) dater. Pour cela, il faut en particulier s’efforcer d’avoir un avis sur la délicate question des contacts entre le texte d’Aspasie et le texte du « Soranos » du Parisinus gr. 2153 : nous pensons que Soranos est antérieur à Aspasie, quelle que soit par ailleurs la position du compilateur à l’origine du syllogè du Parisinus. Mais qui était cette Aspasie ? Une femme (et alors quel était son métier ?), ou un homme déguisé sous un nom de femme ? Dans le domaine scientifique ou dans celui des « belles lettres », les femmes de l’Antiquité écrivaient-elles ? Ce nom d’Aspasie lui-même n’est-il pas suspect, pour des raisons littéraires ? Il convient, en tout état de cause, d’être prudent face aux certitudes excessives que nous suggérerait une dévotion exclusive au genre littéraire ou aux gender studies.

Aetios’ medical compilation (vith century A.D.) gives us extracts taken from the works of an “Aspasia” who seems to have written about gynaecological matters. We try to give a short characterization of the author’s style and manner, and a temptative date. In order to do so, we have to come to terms with the delicate question of the connections between the Aspasian text and the text of the Parisinus gr. 2153 of “Soranos”: whatever the case of the Parisinus’ compilator, we think that Soranos himself has written before Aspasia. But who was Aspasia? A woman (but what was her trade?), or a man in the disguise of a woman? Be it in science or in literature, did women write in Antiquity? Should not this very name, Aspasia, make us suspicious, for literary reasons? On the whole, it seems appropriate to be cautious, and to keep in mind that there’s a difference between genre and gender.

  • Aline Canellis : L’érudition dans le livre 1 du Commentaire sur Amos de saint Jérôme

Traduits de l’hébreu avant 393, les douze Petits Prophètes ont été intégralement commentés par Jérôme en trois vagues successives sans qu’ait été respecté l’ordre des livres bibliques, de l’aveu même de l’exégète. En effet, Jérôme n’achève son entreprise qu’en 406 lorsqu’il rédige les Commentaires sur Zacharie, Malachie, Osée, Joël et Amos. Les trois livres de ce Commentaire sur Amos s’ouvrent chacun par une pièce liminaire qui ne respecte pas nécessairement les règles de composition et les topoi de la préface antique. C’est paradoxalement le prologue du dernier livre qui a une valeur programmatique : « Ce que l’on recherche dans l’explication des Saintes Écritures », affirme Jérôme, « ce ne sont pas des paroles apprêtées et ornées des fleurs de la rhétorique, mais la science (eruditio) et la simplicité de la vérité ». L’érudition hiéronymienne, appréciable dans le premier livre de l’In Amos, se révèle non seulement dans l’architecture d’ensemble du Commentaire, notamment dans la présentation d’Amos et de ses prophéties, mais encore dans la méthode de l’exégète et le détail des procédés utilisés, enfin dans l’éclectisme du commentateur, qui, au confluent de diverses traditions, imprime à son œuvre une certaine originalité tout en l’inscrivant dans la longue lignée des commentaires antiques.

The twelve Minor Prophets – translated from Hebrew before year 393 – were completely commented by Jerome into three successive waves, without respecting the order of the biblical books as the exegete himself admitted. As a matter of fact, Jerome does not complete his work before 406 when he writes the Commentaries on Zechariah, Malachi, Hosea, Joel and Amos. The three books of the Commentary on Amos start – for each one – with forewords which do not necessarily respect the rules of composition and the topoi of the antique preface. Paradoxically it is the prologue to the last book which has the value of a program: “what is searched for in the explanation of the Scripture, are not affected words enhanced with the flowers of rhetoric, but the science (eruditio) and the simplicity of the truth.” Jerome’s erudition appreciable, in the first book of In Amos, appears not only in the general architecture of the Commentary, namely in the presentation of Amos and his prophecies, but also in the method of the exegete and the detail of the process used, at last finally in the eclecticism of the commentator who – at the confluent of varied traditions – prints on his work some originality, inscribing it in the long line of the antique commentaries.

  • Jean Schneider : Une correspondance érudite, les lettres de Maxime Planude

Alors que l’œuvre érudite de Maxime Planude est très vaste et diverse, nous trouvons relativement peu d’allusions à elle dans les cent vingt-et-une lettres conservées. Rares sont les citations littéraires qui appartiennent aux œuvres qu’on sait avoir été étudiées par Planude. Il peut mentionner son travail sur les épigrammes, sur le « calcul selon les Indiens », sur Diophante et sur Ptolémée, demander du parchemin, réclamer des livres qu’il a prêtés, parler de son enseignement, et deux lettres montrent en lui un bibliophile passionné. Ce bilan un peu décevant tient à la fonction de la lettre, qui ne doit pas être pédante mais exprimer sobrement et élégamment une amitié qui résiste à l’absence.

Although Maximos Planudes’ scholarly work is very vast and miscellaneous, we find relatively few allusions to it in the 121 preserved letters. Rare are the literary quotations which belong to works known to have been studied by Planudes. He may mention his working on the epigrams, on the "reckoning according to the Indians", on Diophantos and on Ptolemaios, ask for parchment, claim books he lent, speak about his teaching, and two letters show him as a passionate bibliophile. This slightly disappointing harvest is linked with the function of the letter, which must not be pedantic but express soberly and elegantly a friendship which withstands absence.

  • Michèle Béjuis-Vallat : Servius et la tradition des fata Troiana 

Une longue tradition remontant à des poèmes cycliques aujourd’hui perdus recense un certain nombre de conditions qui, selon le point de vue adopté, devaient permettre la survie de Troie ou précipiter sa destruction : Servius les appelle fata Troiana et en fait un bilan à la fin de l’Antiquité. Les principaux fata sont : la vie de Troïlos, le palladium, le tombeau de Laomédon, la présence d’un Éacide, les chevaux de Rhésos et les flèches d’Hercule. Nous détaillons chacun de ces fata, en le resituant dans son contexte et son évolution pour montrer comment il s’est construit depuis les anciennes épopées grecques jusqu’à Servius et la basse Antiquité. Nous terminerons en nous demandant pourquoi tant d’auteurs grecs et latins ont manifesté leur intérêt pour cette question qui engage à la fois l’érudition et l’idéologie.

A long tradition, raising to today lost cyclic poems, lists some conditions which, according to the adopted point of view, had to allow the survival of Troy or precipitate its destruction: Servius calls them fata Troiana and assesses it at the end of the Antiquity. The main fata are: Troilos’ life, the palladium, Laomedon’s grave, the presence of an Eacid, the Rhesos’ horses and Hercule's arrows. We detail each of these fata, in its context and its evolution to show how it built itself since the former Greek epics until Servius and the low Antiquity. We shall end by asking us why so many Greek and Latin authors showed their interest for this question which engages at the same time the learning and the ideology.

  • Évelyne Prioux : Lycophron et les errances d’Énée : mythes ‘locaux’, érudition ethnographique et poétique des griphes

Cet article s’intéresse à l’érudition à laquelle Lycophron fait appel dans les vers 1230 à 1258 de l’Alexandra (excursus concernant la geste d’Énée en Étrurie et dans le Latium) : quelles sont les traditions que Lycophron suppose connues de son lecteur ? Comment représente-t-il l’ethnographie de l’Italie et les origines des Étrusques et des Romains ? Quel poids accorde-t-il à des mythes « locaux » qui semblent présupposer une érudition considérable de la part de ses lecteurs ? Au-delà des énigmes et cryptages chers à Lycophron, les références à des éléments plus ou moins obscurs des traditions mythologiques relatives à l’Italie et à la fondation de Rome sont souvent guidées par la volonté de présenter cette ville comme étant à la fois le produit et l’agent d’une forme de réconciliation entre Europe et Asie. L’ensemble du passage relatif aux errances d’Énée et d’Ulysse multiplie les allusions à des versions différentes et parfois concurrentes de la légende des origines : parmi les notices rassemblées par Lycophron, certaines doivent probablement nous amener à remettre en cause la notion même de « mythe local ». Comme nous le verrons dans plusieurs cas, les versions dites locales de certains mythes sont probablement entrées dans le texte de Lycophron par l’intermédiaire de notices conservées par des historiens grecs : à partir de ces éléments, le poète semble ensuite s’être livré à un jeu de recomposition des traditions qui permettait de concilier différentes versions et qui visait peut-être à étayer le discours que Lycophron souhaitait tenir sur une histoire universelle perçue comme une histoire des conflits entre Europe et Asie débouchant sur une forme de réconciliation ou d’apaisement en partie rendu possible par le peuple romain.

This paper attempts to shed light on the erudite traditions used by Lycophron while describing Aeneas’ wanderings in Etruria and Latium (Alexandra, 1230-1258): which traditions does Lycophron expect his readers to know? How does he understand the ethnography of Italy and the origins of the Etruscan and Roman peoples? How far is he concerned with involving in his account “local” traditions and myths that seem to require a considerable erudition on the part of his readers? Some of the allusions to recondite mythological traditions dealing with the archaeology of Italian peoples and the foundation of Rome have probably been designed to present Rome as the resulting of a reconciliation / suggeneia between Europe and Asia. Lycophron’s account of Aeneas’ and Odysseus’ wanderings involves references to different (or even contradictory) versions of foundation myths concerning Rome and Cortona. Certain details should encourage us to question the very notion of “local myths”. As a matter of fact, these “local” myths probably entered Lycophron’s poem through the intermediary of historiographical sources well known to the Hellenistic scholars and poets, such as the works of Theopompus, Lycus or Timaeus, but Lycophron used these sources in a very specific way and composed a patchwork using different traditions in order to formulate his conception of world history as a story of war and reconciliation between Europe and Asia.

  • Florence Garambois-Vasquez : La constellation de la Vierge, ou l’amplification d’un savoir : Aratos, Germanicus, Avienus

Cette étude se propose d’analyser l’évolution d’une figure mythologique, celle de la Justice, associée au mythe de l’âge d’or, et dont la présence est permanente dans la littérature antique. Il s’agira de montrer comment les auteurs retenus reprennent et amplifient le mythe pour servir un projet politique ou encomiastique, et transmettre également une vision du monde.

This present study aims at describing the mythological figure of Iustitia as linked with the myth of golden age in the classical literature. We will see how three poets, from different centuries, use this universal myth to build the architecture of their political and encomiastic project. Through the use of the myth, through translating the Heavens, they translate their own conception of the world they live in.

  • Laurence Dalmon : Le pape Zosime et la tradition juridique romaine

De la correspondance échangée entre l’Église africaine et le pape Zosimus pendant le procès des hérétiques pélagiens (tournant 417-418), seule la partie pontificale s’est conservée. Les trois pièces ici présentées révèlent une solide connaissance des procédures accusatoires, de la tradition juridique romaine et des corpora afférents sans doute à même d’expliquer leur conservation et transmission dans l’Avellana, collection de la seconde moitié du VIe siècle : une époque où, devant la menace de destruction et de morcellement des savoirs qu’entraînent les grandes invasions, le ius ecclesiasticum, héritier sûr de l’antique droit profane, trouve à se structurer dans le phénomène si caractéristique de la mise en recueil.

From the correspondence that was exchanged between the African Church and Pope Zosimus during the trial of the pelagian heretics (circa 417-418), only the papal part remains. The firm knowledge of accusatory procedures, Roman judiciary tradition and relating legal corpora, perspires in the three plays presented here. These plays have no doubt a documentary value which thus explains their preservation and transmission in the Avellana, collection of the second half of the 6th century, time where facing the threat of destruction and dividing up of knowledge triggered by the great invasions, the ius ecclesiasticum, reliable heir to the ancient secular law, found a form of structuring in the so characteristic process of collecting.

  • Daniel Vallat : Le commentaire de Tibère Claude Donat au Chant 1 de l’Énéide, sa place dans les débats virgiliens et ses relations avec Servius

Le commentaire à l’Énéide de Tibère Claude Donat propose une conception très originale de l’explication littéraire : opposée à celle des grammatici, elle analyse en particulier, dans un style prolixe, la cohérence de Virgile et son maniement de la rhétorique. Mais originalité ne signifie pas indépendance, et la comparaison avec Servius s’avère inévitable. Si leurs ressemblances trouvent sans doute leur origine dans l’exploitation d’une source commune (une vulgate ancienne dont Aelius Donat représentait le dernier maillon), leurs différences jouent un rôle plus technique en mettant en évidence des clivages interprétatifs, et peuvent aider à établir une chronologie relative entre les deux commentateurs, sur la base d’éléments logiques ou idéologiques.

The comment to the Eneid by Tiberius Claudius Donatus proposes a very original conception of the literary explanation: set against that of the grammatici, it uses a prolix style in order to analyze especially the coherence of Vergil and his manipulation of the rhetoric. But originality does not mean independence, and the comparison with Servius turns out inevitable. If their resemblances probably find their origin in the exploitation of a common source (a former vulgate the last link of which Aelius Donatus represented), their differences play a more technical role by bringing to light interpretative contrasts, and can help to establish a relative chronology between both commentators, on the basis of logical or ideological elements.