ERVDITIO ANTIQVA
Revue électronique de l'érudition gréco-latine


Volume 14 (2022)
Résumés des articles


© Kunsthistorisches Museum, Vienna

Jacques Elfassi – Chronique isidorienne VII (2020-2021)

Cet article propose la liste des livres ou articles consacrés à Isidore de Séville et publiés en 2020-2021, accompagnés d’un bref commentaire. La première partie comporte un complément aux cinq « Chroniques isidoriennes » parues précédemment dans Eruditio antiqua (travaux publiés en 2008-2019).

his paper proposes a list of the books or papers dedicated to Isidore of Seville and published in 2020-2021, together with a brief commentary. The first part contains a complement to the five “Isidorian Chronicles” previously issued in Eruditio antiqua (research works published in 2008-2021).


Daniel Vallat – Les étymologies en quasi chez Servius et chez les philologues latins

Quasi est l’un des marqueurs de l’étymologie chez Servius : sans être le plus fréquent, il pose un problème majeur de compréhension et de traduction, car on peut difficilement le rendre par la comparaison hypothétique « comme si » ou par l’identification « en tant que ». Pour mieux le distinguer de ses autres emplois, on analyse ici quasi et les étymons qu’il introduit, en identifiant trois cas de figure : Q1 : quasi introduit un syntagme étymologique ; Q2 : il est suivi d’un terme préexistant ; Q3 : il introduit un mot qui n’existe pas (nomen fictum) et qui constitue une étape intermédiaire.

Quasi is one of the etymological markers in Servius: without being the most frequent, it nevertheless can be a difficult issue of understanding and translation, because it can hardly be translated by the hypothetical comparison "as if" or by the identification "as". To better distinguish it from its other uses, we analyze here quasi and the etymons it introduces and we identify three cases: Q1: quasi introduces an etymological phrase; Q2: it is followed by a pre-existing term; Q3: it introduces a word that does not exist (nomen fictum) and that constitutes an intermediate step.

 

Marie de Toledo – Salmonée, d’?µ?µ?? chez Homère (Od. 11) à sacrilegus chez Servius : les scholies homériques et la réécriture virgilienne du catalogue des suppliciés (Aen. 6)

Parmi les épisodes de la Nekyia homérique qui font l’objet d’une reprise dans le chant 6 de l’Énéide figure un catalogue des suppliciés, aperçus par Ulysse au terme de sa rencontre avec les morts et décrits à Énée par la Sibylle au cours de sa catabase. L’intégration de Salmonée à la liste des impies châtiés au Tartare apparaît comme une innovation virgilienne. Salmonée apparaît bien dans le chant 11 de l’Odyssée, mais dans le catalogue des héroïnes, où sa fille, Tyro, en fait une présentation élogieuse. C’est seulement par la suite que la tradition a établi son impiété, comme nous l’apprennent les scholies homériques conservées pour ce passage. On se demandera dans quelle mesure le déplacement et la réévaluation de la figure de Salmonée chez Virgile, puis chez son commentateur Servius, peuvent être mises en rapport avec les problèmes posés par les commentateurs anciens d’Homère au sujet de ce personnage. Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un travail de comparaison systématique entre Homère, Virgile et leurs commentateurs anciens, visant à affiner la description des relations entre textes poétiques et textes critiques dans l’Antiquité, et à éclairer le rôle des commentaires dans la production et l’évaluation d’une réécriture.

The catalogue of sinners, who are seen by Odysseus at the end of his encounter with the dead and described to Aeneas by the Sibyl during his catabasis, is one of the many episodes of the homeric Nekyia which are repeated in Aeneid 6. The mention of Salmoneus in the list of impious men punished in Tartarus seems to be a Vergilian innovation. Salmoneus appears indeed in Od. 11, but in the catalogue of heroines, in which his daughter, Tyro, introduces the character in a much more flattering way. Only later has the tradition established his impiety, according to the homeric scholia on this passage. We will wonder to what extent the transfer of Salmoneus from one catalogue to another as well as his reevaluation by Vergil and his commentator Servius can be related to the problems raised by Homer’s ancient commentators about the character. This investigation is part of a broader study based upon a systematic comparison between Homer, Vergil and their ancient commentators, which aims to offer a precise description of the relationships between poetic and critical texts in Antiquity and to question the role played by commentaries in the production and the evaluation of rewriting processes.

 

Vérène Chalendar, Chercher l’erreur médicale dans la documentation cunéiforme

La question de l’erreur médicale, prégnante dans nos sociétés occidentales actuelles, avait-elle déjà été envisagée au Proche-Orient ancien, région pour laquelle sont connus dès 2400 av. J.-C. les premiers textes thérapeutiques et où s’est par la suite développée une importante tradition médicale consignée sur tablettes d’argile rédigées en écriture cunéiforme ? S’intéresser à l’erreur médicale revient nécessairement à s’interroger sur les limites de la responsabilité du thérapeute. En Mésopotamie, plusieurs acteurs du soin sont mentionnés par les tablettes cunéiformes et l’on perçoit à travers la multiplicité des textes la variété des pratiques mises en œuvre par les thérapeutes. La présente contribution se propose d’examiner la validité du concept d’erreur médicale appliqué au Proche-Orient ancien et d’essayer d’en restituer les contours au vu des sources à disposition du chercheur, mais également à la lumière des conceptions mésopotamiennes de la maladie.

The question of medical malpractice, which is so prevalent in our present-day Western societies, had it already been considered in the Ancient Near East, a region for which the first therapeutic texts were known as early as 2400 B.C. and where an important medical tradition recorded on clay tablets written in cuneiform script subsequently developed? In examining the concept medical malpractice, one necessarily questions the limits of the therapist's responsibility. In Mesopotamia, several healthcare professionals are mentioned by the cuneiform tablets and one perceives through the multiplicity of the texts the variety of the practices implemented by the therapists. The present contribution offers to investigate the validity of the concept of medical error as applied to the Ancient Near East and to try to reconstruct its contours in the light of the sources available to the researcher, but also in the light of Mesopotamian conceptions of illness.

 

Mireille Ausécache, Propriétés, composition, dosage des remèdes : réflexion et débats autour des erreurs de prescription pharmacologique (XIE-XIIIE siècles)

La question de l’erreur médicale est particulièrement prégnante en matière de pharmacologie. Elle concerne la pratique thérapeutique puisqu'elle touche aux modes de préparation et d’administration des médicaments, mais la théorie aussi avec la question du mode d’action des remèdes simples et composés. Entre les XIe et XIIIe siècles se produit une évolution notable de la réflexion dans ces domaines. À Salerne, des ouvrages abordent surtout la pratique et multiplient les mises en garde tandis que d’autres s’efforcent de quantifier les vertus des substances utilisées dans la pharmacopée. Cette double démarche se poursuit aux XIIe et XIIIe siècles, la réflexion se trouvant enrichie par la lecture du Canon d’Avicenne.

The issue of medical error is particularly relevant in pharmacology. It concerns therapeutic practice by addressing the methods of preparation and administration of medicines, but it also questions theory by raising the question of the mode of action of simple and compound remedies. During the 11th-13th centuries, there was a notable evolution in thinking in these areas. Salernitan works focused on practical matters and increased the number of warnings, while others attempted to quantify the virtues of the substances used in the pharmacopoeia. This dual approach continued in the 13th century, with the reading of Avicenna’s Canon enriching reflection.

 

Elke Krotz, Warnungen vor Behandlungsrisiken im Aderlasstraktat Jakob Engelins

Der Arzt Jakob Engelin behandelt in seinem 1395 abgeschlossenen, noch unedierten Tractatus de fleubotomia, de ventosis, de sanguisugis auch die Fragen, was ein Arzt oder Aderlasser unterlassen und welche seiner Fähigkeiten er trainieren sollte, um Schäden durch unsachgemäße Anwendung zu vermeiden. Den Aderlass sollte ein physicus beratend begleiten, während das ungefährlichere Schröpfen und die Anwendung von Blutegeln ein Bader ausführen könne. Engelin zeigt ein bemerkenswertes Bewusstsein für die Verantwortung des Arztes und Baders gegenüber dem Patienten.

The physician Jakob Engelin discusses in his German Tractatus de fleubotomia, de ventosis, de sanguisugis from the year 1395 among other topics the question, what a physician or barber should do or refrain from doing and which skills he should exercise in order to avoid damages by medical malpractice. While bloodletting should be accompanied by medical observation, cups and leeches, regarded as less dangerous, can be applied by a cautious barber, too. Engelin shows a remarkable sense of responsibility when he speaks about the different methods of treatment.

 

Laetitia Loviconi, Sémiologie et erreurs de diagnostic des fièvres dans la Practica canonica de Michel Savonarole (ca 1385-1466)

Le médecin Michel Savonarole (ca 1385-1466) est l’auteur d’un volumineux ouvrage de pratique médicale, la Practica canonica, très volumineuse quoiqu’exclusivement dédiée aux fièvres, et rédigée en mobilisant de nombreuses sources des médecines grecque et arabe, ainsi que des écrits de ses contemporains et le fruit de sa propre pratique. À travers une étude approfondie de cette œuvre, nous cherchons à préciser la fréquence relative des erreurs de diagnostic de fièvres à la fin du Moyen Âge ainsi que les sources à l’origine de telles erreurs. Nous analysons également les problèmes inhérents d’une part, à l’évaluation de la chaleur et du pouls, signes essentiels du diagnostic des fièvres ; d’autre part, au degré de spécificité et de sensibilité des signes de diagnostic. Enfin, nous nous interrogeons sur l’équivocité de certains signes et le désaccord entre médecins suscité par de tels signes.

The physician Michele Savonarola (ca 1385-1466) is the author of a voluminous work of medical practice, the Practica canonica, which is very extensive, although exclusively dedicated to fevers, and which was written using numerous sources from Greek and Arabic medicines, as well as the writings of his contemporaries and the fruit of his own practice. Through an in-depth study of this work, we seek to clarify the relative frequency of errors in the diagnosis of fevers in the late Middle Ages, as well as the sources of such errors. We also analyse the problems inherent in the evaluation of heat and pulse, the essential signs of fever diagnosis, and the degree of specificity and sensitivity of the diagnostic signs. Finally, we consider the equivocality of certain signs and the disagreement between doctors over such signs.

 

Divna Stevanovic-Soleil, L’erreur du malade dans la réflexion et la pratique médicales grecques aux époques classique et impériale

Les témoignages sur l’erreur du malade ne sont pas absents de la Collection hippocratique, mais leur interprétation peut s’avérer difficile, car elle dépend étroitement des contextes dans lesquels l’erreur est évoquée. En effet, l’erreur du malade n’a pas la même fonction discursive dans un texte polémique d’une part et dans des textes à visée thérapeutique de l’autre. Dans la présente communication, c’est l’erreur du malade inscrite dans un contexte thérapeutique qui nous intéresse : nous essayerons de voir si l’auteur hippocratique envisage des réponses médicales aux égarements de ses patients. Notre enquête commence par la Collection hippocratique et se poursuit à travers deux traités médicaux en langue grecque datant de l’époque impériale, Bienséance d’auteur anonyme et Signes, causes et thérapies des maladies aiguës et chroniques d’Arétée de Cappadoce. Cela nous permettra d’observer la façon dont évolue le regard que le médecin porte sur l’erreur du malade, surtout du point de vue de la pratique médicale. 

Patient’s error is well documented in the
Corpus Hippocraticum, but its interpretation can be difficult, because of its dependence on the context in which it appears. Indeed, the patient’s error does not function in the same way in the polemical contexts on the one hand and in the therapeutical ones on the other. In this paper, we will discuss the patient’s error in some therapeutical contexts: we will concentrate on the responses that the physician may or may not give to this problem. Our research begins with the evidence from the Corpus hippocraticum : we will confront these testimonies with those found in two Greek medical treatises from the imperial period, Decorum whose author is anonymous, and Signs, Causes and Treatments of Acute and Chronic Diseases, written by Aretaeus of Cappadocia. Thus we will be able to see in what way the physician’s attitude towards the patient’s error evolves, especially from the standpoint of medical practice.

 

Valérie Gitton-Ripoll, L’appréciation de l’erreur médicale par les patients romains

Dans la littérature latine non spécialisée, la figure du médecin est souvent objet de critiques, mettant notamment en doute ses compétences. Les patients sont nombreux à dénoncer ses prétendues erreurs, soit qu’il ne porte pas de diagnostic correct, soit qu’il se trompe de traitement, ou recourre trop à la chirurgie ; soins et assassinat sont confondus par eux dans un même geste thérapeutique, confusion encouragée par quelques assassinats politiques perpétrés avec la complicité d’un médecin. Ces critiques redondantes relèvent d’un lieu commun qui ne se lit pas seulement dans les œuvres de fiction (théâtre, satire, roman), mais aussi sur les épitaphes, chez les historiens et les auteurs plus techniques, comme Caton et Pline. Plus que l’absence d’erreur, ce qui est attendu à Rome du médecin, c’est la fides et l’humanitas.

In non-specialised Latin literature, the character of the physician is often criticised, particulary for his lack of competence. Many patients denounce his so-called errors, either because he does not make a correct diagnosis, or because he makes a mistake in his treatment, or for his excessive use of surgery ; they confuse care and murder in the same therapeutic gesture, a confusion encouraged by a few political murders perpetrated with the complicity of a doctor. These redundant criticisms are part of a commonplace that can be found not only in fiction works, like theatre, satire, novels, but also in epitaphs, among historians and more technical authors such as Cato and Pliny. More than absence of error, what is expected from the physician in Rome is fides and humanitas.

 

Paul Luthon, La place de l’erreur dans la conception de l’art médical chez Celse

Dans la préface (prooem. 48) du De medicina de Celse, la définition de la médecine comme ars coniecturalis semble avoir pour but de bâtir une conception de l’art qui rende raison des échecs thérapeutiques sans toutefois saper les fondements de la confiance qu’on lui accorde. Mais comment la capacité de l’art médical à atteindre les buts qu’il se fixe est-elle ensuite conciliée avec le risque d’erreur dans le reste de l’œuvre et quelles conséquences pratiques le soignant doit-il tirer de cette définition d’une médecine conjecturale ? Afin de mieux saisir le cadre épistémologique et éthique dans lequel s’exerce d’après Celse l’activité du bon médecin, cet article propose une étude lexicologique des principaux termes liés à l’erreur que l’on rencontre dans le De medicina

In prooem. 48 of Celsus’ De medicina, the definition of medicine as an ars coniecturalis seems to be aimed at building a conception of the art that would be able to explain therapeutic failures without ruining the confidence one can have in medicine. But how is the art’s capacity to reach its goals conciliated with the risk of error in the rest of the work, and what practical consequences should the physician draw from this definition of his art? In order to understand better the epistemological and ethical frame in which his activity is practised according to Celsus, this paper tries to carry out a lexicological study of the main words that are related to the concept of error in the De medicina.

 

Estela Bonnaffoux, Déclinaisons de l’erreur médicale chez Antonio Guaineri (v. 1390-1458)

Auteur de traités à visée pratique, le médecin Antonio Guaineri rapporte de nombreux cas d’erreurs médicales dans ses œuvres. Elles émanent à la fois des soignants (diagnostic erroné, thérapie inadaptée) et des malades (automédication, recours à des pratiques marginales) et entraînent bien souvent la mort du patient. L’erreur médicale occupe plusieurs fonctions dans l’œuvre d’Antonio Guaineri. Elle permet d’abord de mettre en garde le lecteur contre des pratiques thérapeutiques dangereuses, en rappelant à quels risques s’expose le malade qui se dégage des conseils du médecin. Elle participe ensuite d’une stratégie de promotion personnelle : en dénonçant les échecs des autres, Antonio Guaineri entend renforcer sa propre autorité scientifique. Enfin, l’erreur médicale s’inscrit dans un questionnement plus général sur la responsabilité morale du médecin. Dans cette perspective, elle permet de fixer une ligne de conduite personnelle, obligeant le médecin à assumer ses gestes et à garder à l’esprit la gravité de son rôle.

In his practical treatises, the physician Antonio Guaineri reports several cases of medical errors, made by both practitioners (wrong diagnosis, inappropriate therapy) and patients (self-medication, recourse to marginal practices). Medical error, which often results in the death of the patient, has several functions in the work of Antonio Guaineri. First, it is a warning against dangerous medical practices: it emphasises the risks taken by the patient who ignores the doctor’s advice. Secondly, it is part of a self-promotion strategy: by denouncing the failures of other practitioners, Antonio Guaineri intends to reinforce his own scientific authority. Finally, it is part of a more general questioning regarding doctor’s moral responsibility. In this perspective, it allows the physician to draw a personal line of conduct and forces him to take responsibility for his actions and to bear in mind the seriousness of his role.